Au nom de la Loi
La Justice en questions
D’où viennent les premières lois qui ont régi le Pays de Vaud ?
Comment s’est-on mis d’accord pour bâtir un système juridique qui puisse remplacer la loi du plus fort et la vengeance personnelle ?
Comment ces premières lois ont-elles été fixées, puis mises par écrit ?
Comment fonctionnait alors la justice chargée de les faire appliquer ?
Considérée au Moyen Age comme la source du droit et la capitale judiciaire du Pays de Vaud savoyard, Moudon possède encore un exemplaire original du premier Coutumier rédigé dans cette ville en 1577. Ce registre fait la synthèse des coutumes, c’est-à-dire des lois orales élaborées jusqu’à cette date par les communautés locales et qui vont se maintenir durant toute l’époque bernoise.
Avec d’autres documents emblématiques, tels que la charte de franchises de 1285, ce Coutumier est au cœur de la salle d’exposition, transformée en tribunal pour l’occasion. Des illustrations et des enregistrements sonores de cas concrets rendent compte des diverses facettes de la justice chargée de faire respecter les lois : justice pénale, châtiments corporels, tribunaux des mœurs …
Une signalisation en ville permet de parcourir les lieux liés à l’exercice de la justice et aux châtiments.
Conférences publiques et animations
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27 octobre, 14h30
Les sorcières sont parmi nous, après-midi de contes avec Marie-France Meylan Krause, conteuse et archéologue, accompagnée de Débora et Geneviève.
Les conteuses évoqueront les multiples visages de la femme dotée de pouvoirs magiques, de la belle ensorceleuse à l’affreuse mais bonne vieille sorcière, en passant par les chevaucheuses de balais et les préparatrices de philtres d’amour… La sorcière n’est pas toujours celle que l’on croit !
Les Marmottes face aux juges du consistoire
L’année 1773 touche à sa fin, et la patience des époux Golay aussi. Ils s’adressent au consistoire pour se plaindre du manque de respect des enfants, qui leur crient des noms.
L’affaire est prise au sérieux. Le consistoire charge le pasteur « d’avertir Messieurs les Régents du Collège d’intimer une défense à tous les écoliers de ne pas crier auxdits Goley le mot de Marmotte dans les rues ou autrement sous peine d’un châtiment sévère ». On décide aussi que l’officier baillival Cornaz « devra faire une publication à l’issue du sermon dimanche, portant défense de se servir ou d’appliquer audit Goley ou à sa femme… le mot de Marmotte sous peine d’être châtié comme pour cause de scandale ». Pour rendre plus efficace la mesure, les époux Goley offrent même une récompense de 10 florins (l’équivalant d’une semaine de travail) à la personne qui pourrait dénoncer le contrevenant et témoigner de l’injure devant les juges.
Pourquoi leur avait-on donné ce sobriquet et pourquoi cela leur semblait-il si désobligeant ? L’histoire ne le dit pas. Mais on sait que Jacques Golay avait été régent d’école. Est-ce donc parce qu’il s’était occupé de marmots ? Marmonnait-il ou avait-il un nez aplati comme celui d’une marmotte ?
On apprend par ailleurs que sa femme, née Faucherre, n’avait pas bon caractère. Au printemps suivant, elle paraît à nouveau devant le consistoire à cause d’un conflit avec sa voisine, une dame de la bonne société, l’épouse du châtelain Burnand. Plus exactement, ce sont les maris qui paraissent au nom de leur femme. « La Golay » ayant jeté de « l’écume grasse » en bas les escaliers communs de leurs logements, la « dame Burnand » serait venue l’agresser dans sa cuisine ; au lieu des explications qu’elle demandait elle n’aurait reçu que des injures.
Faute de témoins de la scène, les juges ne peuvent se baser que sur l’aveu de la femme Golay d’avoir jeté des graisses et écumes en bas l’escalier. Ils connaissent bien « sa façon coutumière d’agrédir aisément ses voisins », mais ils renoncent, pour cette fois, à en référer au consistoire suprême de Berne. « Pour donner une espèce de satisfaction à ladite dame Burnand et contenir ladite Golay dans les règles de la continence et du bon ordre », on lui laisse le choix de s’excuser auprès de la dame Burnand ou de payer l’amende pour scandale. Elle choisit, comme s’y attendaient les juges, la seconde solution. On a sa fierté, même si on n’est pas une « dame » !
Monique Fontannaz
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12 octobre, 11h
Pour en savoir plus sur la condition féminine d’autrefois
Désordres et violences devant la justice à Moudon au XVIIIe siècle, conférence par Elisabeth Salvi, historienne, Université de Genève, Equipe Damoclès.
La dure condition des femmes sous l’Ancien Régime
Au lendemain de Noël 1775, le Vénérable Consistoire, c’est-à-dire le tribunal des mœurs de Moudon, se réunit à l’extraordinaire pour auditionner Véronique Veyre, suspectée d’être enceinte. Celle-ci répète ce qu’elle a déjà déclaré devant le pasteur et le juge : elle ne sait pas si elle est enceinte mais ses règles se sont arrêtées depuis 5 ou 6 mois. Elle raconte que l’été précédent, à la carrière de tuf, elle a été renversée par un carrier français qui avait levé sa jupe et s’était mis sur elle ; quelques semaines plus tard, c’est aux Iles à l’Ours qu’elle se serait fait attaquer par un étranger qui la menace de son couteau et la viole.
Immédiatement interrogé, le carrier Jean Rivaz reconnaît avoir rencontré Véronique Veyre à la carrière, le dimanche avant Pâques, mais il a seulement mis la main sur le mouchoir lui couvrant le sein. Après confrontation des témoignages, Véronique retire son accusation. Vu l’état d’avancement de sa grossesse, le consistoire soupçonne que l’épisode des Iles à l’Ours est une fable. Il l’exhorte à dire enfin la vérité sur l’identité du père. Elle donne alors le nom de Charles, fils du ferblantier Daniel Binder, bourgeois de Moudon, avec lequel elle a eu « commerce » régulièrement dans sa chambre. Elle n’a pas osé l’informer de sa grossesse.
Charles Binder nie catégoriquement tout contact avec Véronique Veyre. Tous deux persistent dans leur version des faits lors de la confrontation. Il est alors décidé d’attendre l’accouchement afin d’interroger la mère, comme c’était l’usage, au moment des douleurs de l’enfantement.
En effet, le 2 mars, l’assesseur Dutoit, président du consistoire, suivi de l’officier Cornaz, se rendent aux couches de Véronique. « Ils trouvèrent ladite fille dans les plus grands maux, dont M. l’assesseur profita pour l’exhorter… à lui indiquer le véritable père de son fruit à naître ». Véronique persiste à accuser Charles Binder jusqu’à la naissance de sa fille, portée au baptême le jour-même par l’officier Cornaz et prénommée Véronique comme sa mère.
Charles continuant à nier, on interroge les voisins et la logeuse de Véronique. Son comportement ne semble pas être au-dessus de tout soupçon. Occupée à faire des ménages la journée, elle laisse souvent ouverte la porte de la maison tard le soir, et vient parfois même l’ouvrir en chemise.
Durant la suite de la procédure, Véronique est défendue par l’hospitalier Burnand. Elle était en effet à la charge de l’Hôpital – qui, évidemment, voulait éviter d’avoir un enfant naturel à entretenir. La famille Binder s’acharne contre elle. Les sœurs de Charles la traitent de pouilleuse et de garce, son frère lui jette des balayures au visage et de la boue sur les petits draps de bébé qu’elle avait étendus sur le mur du jardin de l’hôpital.
Convoqués tous deux par le Consistoire suprême de Berne, Charles s’y rend avec son père et un avocat. Véronique, vu son « manque de jugement », est accompagnée par le sous-hospitalier Briod. Elle est condamnée à l’entretien de l’enfant, aux frais du procès et à 14 jours de prison. L’hospitalier hésite à faire recours, mais le bébé étant décédé sur ces entre-faits, la procédure s’arrête là.
Monique Fontannaz
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Meurtre à la Rue Saint-Bernard
procès fictif
Jeudi 26 septembre à 19 h
Intervenants
Le procureur Me Théo Meylan
L’avocate Me Marine Botfield
Le juge M. Jean-Pierre Lador
Le jury MM. André Mayor et Philippe Jaton
L’accusé Sébastien Jaton
Il fait chaud en ce début d’après-midi du mardi 3 août 1773, et rien ne laisse supposer le drame qui va se dérouler à la Rue Saint-Bernard à Moudon. La douce torpeur de cette belle journée d’été est à peine perturbée par le travail de cerclage qu’effectue devant son atelier Isaac François Nicati, tonnelier de son état. Mais soudain, un coup de feu… Des cris retentissent, le tonnelier s’écroule et son ouvrier Jean-Pierre Pidoux se précipite pour lui porter secours, rejoint par son frère Jacques. Ces derniers soulèvent le blessé, l’emportent dans la maison et le déposent sur son lit. Au vu de la gravité de ses blessures, Nicati meurt peu après. Immédiatement informée, la Haute Cour de justice est convoquée par le Juge Duveluz et tous se rendent sur le lieu du crime. Le quartier est sécurisé et le Docteur Crausaz, rapidement alerté, procède à l’examen du cadavre. Après les premières recherches, un fusil est découvert dans la chambre qu’occupe le dénommé Sigismond Caran, voisin de la victime. Cette arme vient manifestement d’être utilisée mais Caran demeure introuvable. L’audition de plusieurs témoins permet aux enquêteurs de réaliser que de nombreuses personnes ont entendu le coup de feu et les cris de Nicati. Malheureusement pour l’enquête, personne n’a pu réellement voir ce qui s’était passé. Néanmoins, tous les soupçons se dirigent rapidement vers Sigismond Caran. Partis à sa recherche, l’officier baillival et quelques fusiliers qui l’accompagnent finissent par lui mettre la main au collet, près des moulins de Payerne. Laissant entendre qu’il se rendait à Berne pour déclarer son meurtre, Caran n’oppose aucune résistance. Reconduit à Moudon, il est écroué vers 23 heures le mardi 3 août 1773. Au cours d’un premier interrogatoire mené le lendemain, soit le 4 août 1773, le prévenu demeure très évasif dans les réponses qu’il donne aux diverses questions qui lui sont posées, sans pour autant nier son forfait. A la lecture de sa déposition, il appert que celui-ci ne reconnaît rien. Il choisit ensuite de se murer dans le silence. Deux jours plus tard, divers proches du détenu viennent intercéder auprès de la Cour afin que puissent être entendues toutes les personnes susceptibles de certifier l’état « de mélancolie noire, de démence et de frénésie » dans lequel il se trouvait depuis longtemps déjà. Suite à l’accord des Autorités bernoises, ce ne sont pas moins de vingt-quatre personnes qui se succèderont à la barre pour témoigner. On apprend à cette occasion qu’une chute qu’il fit à l’âge de huit ans laissa son cerveau « affecté et embarrassé ». Tous les efforts entrepris, de même que de nombreux voyages pour lui permettre d’entreprendre un métier stable, notamment à Londres et à Vienne, se montrèrent sans effet. Il fallut une menace d’attenter à la vie de sa mère et de sa sœur pour le voir enfermé à l’hôpital de L’Isle à Berne, d’où il s’échappait trois ou quatre semaines plus tard… Sigismond finit malgré tout par s’avouer coupable. Que va-t-on faire de ce meurtrier gravement atteint dans sa santé mentale ?
Philippe Jaton
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27 juin, 18h30
Moudon capitale judiciaire et haut lieu du droit vaudois, par Denis Tappy, professeur ordinaire à la Faculté de droit de l’Université de Lausanne.
Moudon, capitale… de quoi au juste ? En 1568, les Moudonnois ont vécu une cruelle déconvenue. Ils avaient lutté pendant des années pour que la ville conserve le statut de capitale judiciaire du Pays de Vaud qu’elle avait sous les ducs de Savoie, mais les nouveaux maîtres du pays, les Bernois en ont décidé autrement. Ils ont préféré écouter la requête de leurs sujets de Morges et Nyon qui demandaient d’avoir un tribunal d’appel plus proche de chez eux. Jusqu’à cette époque en effet, s’était perpétuée sous l’égide de Berne la règle selon laquelle tous les Vaudois dépendant de la Maison de Savoie devaient se rendre à Moudon s’ils faisaient appel d’un jugement, afin de comparaître devant la cour présidée par le bailli de Vaud et constituée de jurés moudonnois. Les autorités communales ont été tellement ulcérées par cette décision qu’elles ont refusé la forte somme offerte par le gouvernement bernois pour les dédommager de cette perte. Elles ne voulaient pas que la postérité leur reproche d’avoir « vendu leurs privilèges et libertés ». Moudon a donc bien été une capitale, non au sens de la résidence principale du souverain mais comme siège de la Cour suprême du bailliage de Vaud. C’est là également que se réunissaient les délégués des villes, du clergé et de la noblesse constituant les assemblées appelées les Etats de Vaud. Ce rôle particulier n’a pas manqué de faire la prospérité des notaires et des juristes, mais aussi des maréchaux-ferrants et des aubergistes. Cela tient au fait que Moudon était la possession la plus ancienne des comtes de Savoie dans la région. Les franchises urbaines accordées par les Savoie en 1285 ont servi de modèle à beaucoup d’autres villes, si bien que Moudon était alors considérée comme la source de la Coutume en vigueur dans le Pays de Vaud.